« Qu’est-ce que la douleur, Ariane ? » demandait la voix grave Rupert tandis qu’il abaissait sa baguette, sous le regard à la fois attentif et terrorisé de sa fille, une jolie blonde d’à peine seize années. Elle était belle, elle avait la grâce et la distinction de sa Selwyn de mère mais il fallait qu’elle apprenne à être une Carrow digne de ce nom, une insensible à la volonté de fer, et qu’elle soit du sexe faible ne changerait rien. Il était fier de son fils, parfaitement fier, seulement les jumeaux différaient de trop, elle ne pouvait pas le décevoir, c’était inconcevable, il en allait de leur honneur à tous. « Une faiblesse, père.. » murmura la voix féminine, délicate. Le Doloris n’en reparti que de plus belle, punition et enseignement à la fois. Punition pour n’être que la jumelle et non le deuxième fils. Tant d’années à subir les fausses couches de son épouse, Rupert ne pouvait tolérer que cela ne soit pas pour obtenir la descendance idéale. Dans leurs veines coulait une pureté parfaite, dans leur sang était imprégné un idéal, ils devaient tous l’atteindre ou mourir, c’était ainsi. Ariane était l’esclave de cette souffrance qui lui entaillait chaque part de peau, s’introduisait dans chaque muscle, la faisait supplier. Elle suppliait que cela cesse, comme n’importe qui l’aurait fait, victime d’un tel sortilège, celui qui pouvait arriver à vous rendre fou. Une pause était accordée à la gamine qui pleurait sur le parquet ciré du grenier, sans que personne n’ose venir la défendre, car entre les murs du Manoir Carrow, il était le Maître et nul ne devait contredire l’éducation qu’il donnait à sa tant attendue progéniture. « Je réitère : qu’est-ce que la douleur ? » Elle savait parfaitement que cela continuerait temps qu’elle ne lui offrirait pas ce qu’il attendait mais elle se savait encore trop fragile.. du haut de ses seize ans, comment pouvait-elle rivaliser ? Impossible. La sensation de désespoir venait lentement l’étreindre tandis que la fatigue l’écrasait, elle manquait de cette volonté, elle manquait de hargne. Agacement profond, ce ne fut plus la baguette qui vint la malmener mais la main ferme de son père, autoritaire, la redressant de force pour la plaquer contre le mur le plus proche. « Crois-tu qu’un tel comportement soit digne d’une Carrow, Ariane ? » Le timbre de Rupert avait toujours été très sûr, plein d’un aplomb inébranlable, comme si rien n’y personne n’était capable de l’impressionner, lui qui courbait pourtant l’échine sous les ordres de ses supérieurs.. cela cependant, ses enfants l’ignoraient.

« Non, père, ça ne l’est pas. » Elle fuyait son regard, fuyait les prunelles claires, identiques aux siennes, seul héritage physique qu'elle avait de lui, elle fuyait la dureté de l'être qui lui faisait face, qui la maintenait prisonnière de sa poigne de fer. Pourquoi, pourquoi faites-vous cela, demandait-elle intérieurement, connaissant pourtant la réponse, la cruelle réponse, car qu'elle le veuille ou non, ce n'était que pour son bien, son propre bien. Plus elle serait forte, plus elle aurait de chance d'avoir une vie en tous points idéales, du moins au vue de la société actuelle, société dure, cruelle société. Soudain propulsée à l'autre bout de la pièce, Ariane s'échoua lourdement contre le coffre à jouets de son enfance, sorte d'antiquité avec laquelle chaque membre de la lignée avait un jour trouvé du réconfort, de l'amusement. La baguette se levait une nouvelle fois dans sa direction, une ultime fois pour délivrer le ô combien maudit sortilège. Un moment, elle fut forcée de se tortiller, ployant sous la torture avant que finalement ses prunelles claires ne se plantent dans celles de son père, rageusement, un éclair de colère et de certitude les traversant pour la première fois. « Il suffit, père. » Le sadisme et la violence légendaire ne firent pas le poids face à l'once de fierté qu'il ressentit, comme s'il avait attendu une éternité avant d'obtenir ce qu'il désirait, comme si là, enfin, sa fille était née. Le Doloris interrompu, elle s'obligea à se relever, difficilement mais avec toute la détermination du monde. Rébellion. Toute son attitude exprimait une rébellion profonde. « Je ne suis pas un pion que l'on peut façonner. Je ne suis pas un objet. Je ne suis pas une créature que vous parviendrez à modeler à l'instar des autres ! Enseignez-moi mais ne soyez pas barbare, je reste votre enfant ! N'avez-vous donc aucun respect pour votre descendance, père ?! » Fureur. Tout ce qu'il désirait. Qu'elle se rebelle, qu'elle nie en bloc ses origines, il savait parfaitement qu'elle se façonnerait elle-même à l'image de ses ancêtres.. et c'est ce qu'elle fit.