Le gravier crissant sous les talons de la jeune femme la faisait frissonner. Mains dans les poches, foulard pour dissimulant la moitié de son visage, plus dans un souci esthétique que pour réellement se réchauffer, au vu des rayons du soleil caressant les environs, elle avançait. Les yeux rivés sur un point, au loin, elle traçait son chemin. Et même si elle ne laissait rien transparaître, chaque pas était une véritable torture, et la voie tracée dans les minuscules cailloux un réel chemin de croix. Repartir ? Elle n'y pensait pas une seconde. La facilité ne l'avait jamais tentée, et elle tenait à ce « voyage ». Même si on ne pouvait guère parler d'un pèlerinage en bonne et due forme, étant donné que tout se situait à Londres, et que le trajet n'avait pas du lui prendre plus d'un quart d'heure. Mais le côté sacré de l'entreprise pouvait faire mériter cette nomination à cette expédition de fin d'après-midi. Le coeur d'Amalya cognait douloureusement contre les parois de sa cage thoracique, comme s'il tentait de s'échapper de cette prison d'ossements. L'écho qu'il renvoyait dans son esprit était la seule chose qui peuplait celui-ci. On avait mis « pause » dans ses pensées du moment où elle avait décidé qu'elle ne pouvait fuir, et qu'elle ne le voulait surtout pas. Ou plus, plutôt. Il y avait une chose qu'elle devait faire, qu'elle aurait dû faire depuis bien longtemps, et qu'elle n'avait que trop repoussé. Par nécessité, tout d'abord, simplement parce qu'elle n'en aurait jamais eu la force. Et puis au fur et à mesure … par couardise. Et ce constat l'avait alarmée. Amalya était beaucoup de choses, mais elle n'était pas lâche, en tous cas, absolument pas d'ordinaire. Et c'était ce qui avait servi de déclic. Ça, et la date, en arrachant une feuille de son éphéméride. Il le fallait.

Et elle n'avait pas failli, ni défailli, d'ailleurs, sur le chemin l'amenant en ces lieux. Un cimetière londonien ce qu'il y avait en apparence de plus ordinaire, dans lequel elle s'était déjà rendu. Une seule et unique fois. Il y avait de cela un an jour pour jour. Depuis, elle n'avait plus osé poser un pied sur ce sol caillouteux, ou ne serait-ce que jeter un regard aux grilles de fer forgé qui en indiquaient l'accès. Occultant cette partie de son être qui se trouvait enterrée là, elle avait essayé de se relever, et d'avancer. Pour quel résultat ? Il n'était guère concluant, au final, songeait-elle en approchant de l'endroit. Elle avait repris la danse, dans un établissement exhibant les demoiselles, et où l'on ne venait certainement pas pour le côté artistique de la prestation, à de rares exceptions près. Côté coeur, c'était le calme plat, même si ça n'avait jamais été un souci pour elle. Ses parents souffraient de plus en plus de la situation politique, même s'ils essayaient de ne rien laisser transparaître, et elle-même commençait à ronger son frein un peu plus souvent que d'ordinaire, sans savoir si elle devait s'engager ou rester calme, eau en sommeil, en attendant son heure. Elle n'aurait jamais su par où commencer. Et le fallait-il ? Ne trahirait-elle pas e désir de tranquillité des siens, qu'ils avaient toujours exprimé et farouchement défendu ? La réalité était là: elle était à la dérive. Depuis un peu plus d'un an. Depuis qu'Il était mort.

Elle se stoppa finalement sur la pierre tombale, et ses yeux caressèrent les lettres formant son nom: Norman Lochlane. Ses paupières se baissèrent doucement, alors qu'elle prenait sur elle de contrôler ses émotions. Elle ne souhaitait pas se laisser déborder, ici, en plein milieu d'un simple cimetière, en public, même si elle était seule, n'ayant vu personne alentour. Mais les images l'assaillaient, ces pans de mémoire qu'elle avait enfermés à double tour dans un coin de son esprit, pour ne pas en souffrir. Le visages des deux agents du Ministère qui étaient venus la trouver. Sa tenue de scène, délaissée, abandonnée au milieu de cette loge qui n'avait plus aucune utilité, aucun sens. Son visage, pâle, et pourtant semblant terriblement vivant. Cet espoir fou qu'il ouvre finalement les yeux et lui sourie. Les larmes de sa soeur, qu'elle avait du sécher. Et ce coffre de bois, descendant en terre, symbole de la fin définitive de toute chose. Norman était parti. Il était là, quelque part sous ses pieds, enfermé entre quatre planches. Oiseau rêvant de lointaines contrées, et d'espoir, voilà comment il avait fini son existence. Une main portée à sa gorge, essayant de réfréner les larmes qu'elle sentait monter, froissa l'étoffe de son foulard. Pourquoi ? Pourquoi avait-il fini comme ça ? Était-ce réellement à cause d'elle, qui lui avait dit de se lancer avec son mystérieux inconnu, qui lui avait peut-être brisé le coeur ? Sensible comme il l'était, complexé par son homosexualité, il ne l'aurait pas supporté ? Ou était-ce tout autre chose dont elle n'aurait absolument pas eu connaissance, et qu'elle n'avait pas vu venir alors qu'elle l'aurait dû, partageant tellement plus que de simples pas de danse avec lui. Elle le connaissait, ou tout du moins elle le croyait. Et s'il avait eu le moindre problème … elle l'aurait su. Elle aurait dû le savoir ! Les ongles de son autre main crissèrent lentement sur son jean, alors qu'elle secouait la tête, murmurant: ...Norman … je suis tellement désolée ... Désolée de ne pas s'être affolée avant, de ne pas avoir compris, de ne pas avoir été là pour lui s'il avait eu besoin d'elle … Désolée de tant de choses qui augmentaient sa culpabilité jour après jour. Tu me manques. Tu es parti avec un bout de moi, ce jour-là ... Cet aveu, elle l'avait laissé échapper dans un souffle, douloureux, lancinant, alors qu'elle se rendait compte … que c'était totalement vrai. Elle avait arrêté d'y croire. Elle s'était résignée. Et maintenant, elle survivait. Une larme, traîtresse, roula de son oeil fermé sur sa joue, traçant un sillon brûlant sur son épiderme.