Ça y était enfin. Le jour qu'ils attendaient depuis qu'ils avaient quitté Poudlard était enfin arrivé. Norman et Amalya allaient prendre part à la finale internationale de danse de salon. Un événement pour ce duo qui n'avait cessé de travailler d'arrache-pied pour tenter d'atteindre la perfection qui les faisait avancer, et rêver. Concours régionaux, nationaux, ils les avaient remporté haut la main, sous les applaudissements. Récompense appréciable et appréciée, pour ces deux sorciers dont la passion des plus moldues n'avait jamais franchement fait l'unanimité. Mais qu'importait. Ils avaient trouvé ce qui les faisait vibrer, y consacraient des heures, loin de la grisaille de la réalité sorcière, bien trop déprimante, injuste et plombante pour être supportable sans échappatoire. Ils volaient, s'échappaient à chaque mouvement. Dès que la musique commençait, ils pouvaient tout oublier. L'assassinat de la mère de Norman, née moldue, les brimades, les privilèges. Plus rien n'existait. Le temps suspendait son cours, le monde entier retenait sous souffle, et ils enchaînaient danse sur danse, avec application, passion, et envie. Valse, tango, fox-trot et autres passo-doble peuplaient et rythmaient leurs journées. L'équilibre était parfait, et une victoire en ce jour les consacrerait, et leur assurerait un avenir sans nuage: des compétitions, des démonstrations, et une renommée. Il fallait qu'ils gagnent. Elle pourrait quitter son emploi à temps partiel chez Fleury & Bott, ils iraient voir le vaste monde et pourraient oublier jusqu'à leurs origines. Un nouveau départ pour ces deux sorciers qui n'avaient jamais demandé à avoir de pouvoirs, et ne souhaitaient pas tellement trouver une place dans ce monde qu'ils ne comprenaient pas, et qui ne les comprenait sans doute pas plus.

Assise dans leur loge, en train de souligner ses grands yeux de noir, c'était à cela qu'Amalya pensait, échappant au stress comme elle le pouvait. Elle avait croisé quelques uns de leurs concurrents, sur lesquels elle s'était renseignée, et la compétition serait rude. Ses mains ne tremblaient pourtant pas, et elle reposa le crayon, observant son reflet dans la glace. Le rouge de la robe qu'elle avait choisi ressortait sur sa peau blanche, offrant un contraste intéressant. Peut-être ne se ferait-elle pas remarque tout au début en rumba, comparé à toutes ces filles au teint hâlé, mais elle montrerait rapidement de quoi elle était capable. Son regard se tourna vers le tabouret à côté du sien, vide. Norman n'était pas encore arrivé, et il ne restait que quelques minutes avant les premières présentations. Cela ne lui ressemblait guère, mais il était vrai qu'il avait été distrait ces derniers temps. Et elle savait pourquoi, ayant fini par lui arracher des aveux après une valse viennoise particulièrement ratée, sans aucune grâce par faute d'attention de sa part. Son partenaire unique et préféré était amoureux. Eh non, ils n'étaient pas de ces duos oeuvrant à la vie comme sur scène. Déjà parce que ni l'un ni l'autre n'auraient souhaité mélanger la danse et une histoire, et ensuite et surtout parce que le jeune homme ne lui avait jamais caché son homosexualité. Et Norman, donc avait l'esprit ailleurs, accaparé par un vendeur du Chemin de Traverse. Elle n'avait pas eu le droit d'en savoir plus, malgré ses boutades et ses questions, signes d'un intérêt pur, mais avait très rapidement cessé, cela le regardait, et lui seul était maître des révélations qu'il voulait lui faire. Elle l'avait juste encouragé à lui en parler s'il le désirait. Et il s'était confié à elle, au fil des répétitions qui s'enchaînaient, alors qu'il devenait à la fois plus heureux et torturé. Heureux des regards que cet homme lui rendait, et torturé de ne savoir s'il devait l'aborder. Il était de sang pur, lui avait-il dit, et ignorait s'il s'assumait. Mais ces oeillades incessantes qu'il lui rapportait, et les étoiles brillant dans ses yeux quand il lui parlait de ce mystérieux homme l'avaient poussée à l'encourager à aller lui parler, à se déclarer. Pourquoi pas, après tout ? Dans le meilleur des cas, il aurait quelqu'un avec qui partager son triomphe de ce soir, quelqu'un d'autre qu'elle, s'entendait. Et dans le pire, ils auraient sans doute l'occasion de s'éloigner de Londres, donc il pourrait se changer les idées de par le vaste monde. Au moins, l'un d'entre eux était chanceux côté coeur. Ça en faisait toujours un.

Chassant ces quelques mots aux accents mélancoliques ne lui correspondant guère, elle finit de s'apprêter, appliquant une couche de prune sur ses lèvres, qui envoyèrent un baiser à la glace. Il était seulement un peu en retard, il n'allait plus tarder. Rangeant sa trousse, elle se leva, vérifiant l'attache de ses chaussures, avant d'esquisser quelques pas dans la loge. Fermant les yeux, elle fredonna quelques mesures, virevoltant avec légèreté, jusqu'à ce que la porte s'ouvre brusquement, manquant de la percuter. Oh, pardon. Je vous en prie. Elle avait repris pied assez aisément, et servit un léger sourire à la personne qui venait d'entrer. Pas trop prononcé, et légèrement énigmatique, sa marque de fabrique. On commence dans deux minutes. La femme eut un temps d'arrêt en voyant qu'elle était seule: Votre partenaire n'est pas là ? Non, mais il devrait arriver d'une seconde à l'autre. Elle ne s'autorisa à froncer les sourcils que lorsqu'elle eut quitté la pièce. Elle ne s'était pas rendu compte qu'il était aussi tard, et l'inquiétude la gagnait peu à peu. D'ordinaire, Norman était la ponctualité incarnée. Il devait eu avoir un souci, et de taille pour ne pas être là à temps. Elle se dirigea vers son sac, après s'être assuré que la porte était fermée pour sortir sa baguette. Pouvait-elle le contacter ? Un Patronus s'échappant de la loge ne serait guère discret. Quant à transplaner, elle ne saurait où. Son appartement ? Et s'il était en chemin ? Elle reposa le morceau de bois en se sentant commencer à jouer avec, redoutant un départ de sortilège non désiré. Elle ne paniquait pas, restant d'un calme olympien, mais pas mal de possibilités se bousculaient sur l'écran de ses pensées, et elle ne savait laquelle choisir.

Des coups frappés à la porte l'interrompirent, et elle tourna son regard vers le panneau. Ses longs doigts glissèrent de nouveau sa baguette dans les tréfonds de ses affaires, avant d'aller débloquer la porte. La même femme se tenait sur le seuil. La main d'Amalya se resserra autour de la poignée, instinctivement. Elle pouvait quasiment sentir le malaise de son interlocutrice, malaise qui n'était pas de bon augure. Elle ne la regardait pas, son teint était pâle, et elle tapotait nerveusement son carnet du bout de son stylo. Mademoiselle Lupin ... Elle ne répondit rien. Cela aurait été inutile. Son regard essayait seulement d'attraper le sien, pour pouvoir y lire … ce qu'elle ne parvenait visiblement pas à exprimer. Prenant sur elle pour ne pas perdre patience, elle ferma brièvement les yeux, alors que l'autre rassemblait tout son courage: Deux personnes demandent à vous voir. C'est … au sujet de votre partenaire. Obnubilée par la femme, elle n'avait pas vu les deux hommes qui arrivaient au bout du couloir. S'effaçant pour les laisser entrer, elle referma finalement la porte, avant de les considérer, les détaillant l'un après l'autre, avant que l'un d'entre eux ne prenne la parole. Miss Lupin. Nous allons vous demandez de nous suivre. Le concours commence dans quelques minutes. Elle ne s'était pas démontée. Elle ne comprenait pas exactement ce qui était en train de se produire, mais la baguette que venait de sortir l'un des deux hommes lui donnait quelques indices supplémentaires. Vous ne pourrez y prendre part. Silence. Pas un tressaillement n'agita ses traits. Les voix des hommes lui parvenaient, comme des échos répercutés sur les parois d'un tunnel, et en même temps avec une précision implacable. Qu'est-il arrivé à Norman ? Elle ne comptait pas s'embarrasser de fioritures. Ou hurler comme une jouvencelle effarouchée. Elle avait compris. Elle voulait juste l'entendre. L'entendre pour que ça paraisse réel. Son voisin l'a retrouvé pendu au milieu de son salon.

Un des hommes tendit une main vers elle, qu'elle écarta, sans un mot. D'un signe de tête et d'un geste de la main accompagné de quelques mots, elle les pria d'attendre dehors. Elle avança vers la coiffeuse. Dégrafa sa robe, qui glissa au sol. Délaissa ses chaussures, qui tombèrent, et qu'elle repoussa du bout du pied. Enfila son jean, remit ses baskets. Se saisit de son sac. Et sortit.

Au sol, une robe rouge, et une paire de talons.
Vestiges d'une réalité qui plus jamais ne serait.
Cadavres sublimes de rêves révolus.
Témoins d'un passé à jamais aboli.

Elle les suivit sans une parole. Ils l'emmenèrent le voir. Sa mère ayant été tuée, son père l'ayant suivi peu de temps après, terrassé par le chagrin, elle était la plus proche personne à laquelle on avait pu penser. Quand elle vit son corps sans vie, elle hocha simplement la tête. Se chargea de prévenir sa soeur. Resta à son chevet, sans émettre le moindre son, jusqu'à ce que celle-ci arrive. La prit dans ses bras. Et disparut dans la nuit.

Ce ne fut que lorsqu'elle rentra chez elle, et qu'elle croisa son regard dans le miroir que le masque put tomber. Il se fendilla, très légèrement tout d'abord, alors qu'elle observait ses traits maquillés, qui n'avaient plus lieu d'être. Il vacilla plus franchement, quand la surface humide d'un coton imbibé de lotion laissa une trace rouge au milieu de sa joue. Il se fracassa violemment au sol, en petits éclats, lorsque finalement, une larme effleura cette marque.

Elle s'effondra, plaquant une main sur sa bouche.
Pleurant ce complice disparu.
Leur rêve, mort lui aussi.
Se demandant pourquoi.
Abandonnée.
Coupable ?
Seule.