En marge : ne jamais faire une promesse que l'on n'est pas sûr de pouvoir tenir. Ça fait trop mal à ceux à qui on a menti.

« Mais cesse donc de bouder, Mara. Tu sais bien que j'ai fait ça mille fois et je te promets que je ferai ça encore mille autres fois. Ne t'inquiète pas comme ça, j'ai l'habitude maintenant. »
« Ce n'est pas un jeu, Nolan. Et tu n'as pas plusieurs vies que tu peux risquer comme bon te semble, ne l'oublies pas. »

Mara avait la gorge serrée et sa voix se perdit dans un silence lourd et pesant qu'elle n'avait, contrairement à son habitude, aucune envie d'égayer. Elle vivait la peur au ventre. Fuir, toujours fuir, voilà ce à quoi était réduite son existence depuis qu'elle avait pris la décision de sa vie, celle de lutter coûte que coûte pour pouvoir vivre dans ce monde magique où, malgré tout, elle sentait qu'elle avait sa place. Depuis, surtout, qu'elle était placée sous la protection de l'Ordre puisque, avant cela, elle n'avait jamais eu véritablement conscience de ce climat d'insécurité dans lequel elle vivait pourtant depuis sa naissance ou plus exactement depuis que son don magique s'était manifesté. Magique, elle était magique.
Songer à son enfance insouciante et par conséquent infiniment plus heureuse que son entrée dans le monde adulte ramenèrent ses pensées vers le premier sorcier à qui elle avait adressé la parole, le premier sorcier qui lui avait tendu une main secourable. C'est du moins ce qu'il lui avait semblé à l'époque. Jan. Après tant d'années de silence, il n'était plus qu'un visage d'un passé oublié et sur lequel, elle le savait, elle y gagnerait tout autant à faire une croix définitive mais le jeune Gregorovitch revenait pourtant souvent hanter sa mémoire sans qu'elle ne cherche vraiment à le chasser. Comme en ce moment même. Et Mara de penser, non sans un pincement douloureux au cœur, qu'en vivant dans une famille de sorciers au sang pur, il savait forcément, tout enfant qu'il était alors, quel sort on réservait aux sorciers nés-moldus qui osaient pratiquer la magie. Cela ne l'avait pas empêché de jouer les professeurs avec elle et de l'inciter à utiliser son don.

Mara soupira. La rancune était un sentiment tenace duquel elle ne voulait pas véritablement se défendre. C'était peut-être le dernier rempart de sa forteresse mais il était imprenable et incorruptible.

« Fais juste attention à toi. S'il-te-plait, je n'en demande pas plus. » murmura-t-elle en levant ses pupilles brillantes vers le jeune homme, sachant déjà avant même de les prononcer, que ces mots-là étaient inutiles. Bien sûr qu'il ferait attention à lui, sa vie en dépendait. Pourtant Nolan était un garçon un peu trop téméraire et qui croyait un peu trop fort en ses idéaux. Aussi inspirait-il à la jeune femme des sentiments mêlés : admiration et effroi. Elle admirait, en effet, sa bravoure, son courage et le sacrifice qu'il était prêt à faire pour la cause qu'il défendait. Il s'y donnait corps et âme et Mara savait qu'il se rapprochait ainsi de la liberté à laquelle il avait toujours aspiré. Libre même si les dés étaient pipés et le combat à dix contre un. Libre même si, comme à la roulette russe, sa vie était chaque jour remise en jeu et laissée au hasard. Mara enviait cette détermination qu'elle pouvait voir étinceler dans ses yeux charbonneux. Mais Nolan n'avait pas peur de mourir pour sa liberté et c'est cela qui terrifiait tant Mara. Elle ne connaissait pas cette volonté infaillible, terrible.

Alors qu'il s'approchait d'elle pour lui embrasser le front comme il avait pris l'habitude de le faire avant de partir en mission – il aimait dire que Mara lui portait chance – la jeune sorcière cacha ses doigts sous ses genoux pour ne pas montrer ses tremblements. Elle aurait aimé le retenir par le bras, lui dire de ne pas jouer les héros, ajouter qu'il n'avait pas besoin de faire tout ça pour prouver sa valeur mais tous ces mots qu'elle avait en tête se perdirent sur ses lèvres, avortés avant même d'être prononcés. Elle ne pouvait pas choisir pour lui, elle se l'était promis.

Cela faisait plusieurs mois, en vérité, que Mara avait trouvé refuge au quartier général de l'Ordre et qu'elle se tapissait dans l'ombre pour attirer le moins possible l'attention sur elle. Un tel comportement ne lui ressemblait guère mais elle avait, depuis, vu tant d'âmes tomber qu'elle en était transformée. Nolan, elle ne le connaissait que depuis quelques semaines mais avait trouvé en lui ce frère, ce protecteur, qu'elle n'avait jamais eu et s'était tout naturellement prise d'affection pour lui. C'était lui aussi un né-moldu farouchement engagé dans la lutte de l'Ordre du Phénix, bien plus instruit et habile de la baguette qu'elle ne l'était elle même. Son caractère jovial et son optimisme l'avaient séduite immédiatement.
Sa raison lui criait de garder ses distances, de ne surtout pas s'attacher à ces hommes et ces femmes intrépides qu'elle risquait à tout moment de perdre brutalement, mais son cœur était indomptable. Elle ne pouvait tout simplement pas lutter contre ce qu'elle était, sociable, sensible et empressée, et ne pouvait pas mieux empêcher ni sa curiosité, ni son inquiétude vis-à-vis des personnes qu'elle rencontrait.

« Ça ira, on se voit à mon retour, garde moi des sablés si tu peux, tu sais que je les adore. Et interdiction de te morfondre d'ici là, tu me le jures ? » Maigre sourire, sa question n'attendait pas de réponse. Elle détestait son apparente insouciance qui, elle le savait bien, n'était qu'un mensonge de plus. « Je reviens, promis. »
Un clin d'œil, un signe de la main et il était parti.

Quelques mois à peine, guère plus que quelques semaines, qu'elle était là et pourtant elle avait déjà vu un nombre intolérable de sorciers partir et ne jamais revenir. C'était plus qu'elle ne pouvait en supporter et c'est pourquoi elle n'allait pas s'attarder en ce lieu de refuge plus longtemps. Elle y avait, pour quelqu'un qui n'était pas engagé dans l'Ordre, déjà passé beaucoup plus de temps qu'elle ne l'aurait dû mais le génocide – elle n'aimait décidément pas ce mot – faisait tant rage que personne n'avait eu le temps de trouver des toits où dormir pour les nés-moldus que l'Ordre protégeait. Et puis le quartier général était de toute manière le lieu le plus sûr, la meilleure chance de survie.

Brusquement, elle fut prise d'une agitation aussi soudaine qu'irrépressible. Elle avait besoin de bouger là, maintenant, tout de suite. Elle ne resterait pas une minute de plus ici. Mara se leva et fouilla la pièce de ses yeux scrutateurs, cherchant une silhouette svelte qu'elle connaissait bien. Méluzine, une autre de ses rencontres hasardeuses qu'elle avait fait au sein de l'Ordre, lui avait trouvé une place chez son frère comme vendeuse de farces et attrapes et Mara était pressée de goûter à ce cadeau qu'on lui faisait. Cette envie se faisait maintenant tout à fait impérieuse : les noms et les visages, depuis quelques minutes, des quelques Hadrien, Samina, Elvis, Owen, Yvin, Absalon, Eugénie, Dilwen... lui revenaient en pleine figure et elle n'avait pas envie de savoir s'il fallait ajouter Nolan à cette sinistre liste.

Mara partait, partait retrouver la lumière du jour qu'elle avait trop longtemps quittée.